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Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/132

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beauté de nos machines est l’apparence de la vie, et cette beauté ne peut guère être saisie que si elles sont en mouvement ; or précisément la reproduction du mouvement échappe à nos arts représentatifs : ceux-ci doivent donc renoncer à peindre tous les mécanismes qui n’ont pas, en plus de la beauté du mouvement, une sorte de beauté plastique. Mais un grand nombre des machines de l’industrie possèdent déjà au plus haut degré une beauté poétique, parfois une véritable sublimité, qui tient précisément à ce que leur reproche M. Sully Prudhomme, à ce que les puissances prodigieuses dont elles disposent sont condensées, cachées en leur sein, et se révèlent tout à coup par un apparent miracle. Les forces mécaniques de la nature sont si bien transformées en elles que, lorsqu’elles arrivent au point d’application, elles y aboutissent méconnaissables et éclatent à nos yeux comme une création nouvelle. Une sorte de surnaturel domine ainsi toute notre industrie et en fait la poésie ; cette apparence ne peut qu’augmenter avec le temps et le progrès des mécanismes : la locomotive grossière qu’un ingénieur anglais avait munie de béquilles pour la pousser en avant était grotesque, précisément parce qu’on assistait à chacun de ses efforts et à chaque transmission de la force. L’imperfection mécanique d’une machine est par elle-même une imperfection esthétique. Il ne faut pas voir les ficelles des polichinelles. En somme une locomotive d’aujourd’hui courant sur les rails de fer qu’elle fait trembler, puissante comme la volonté humaine, hardie et légère comme l’espérance, vaut bien les premières ébauches des locomotives routières ; elle vaut même,