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Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/140

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mais, comme Lohengrin emporté par ses cygnes ? L’erreur même a sa poésie. « Ose le tromper et rêver, » disait Schiller : c’est la devise même de l’art.

Tels sont les arguments qu’on peut apporter en faveur de la poésie du mystère et du mysticisme dans l’art. Selon nous, l’opposition qu’on se plaît à établir ainsi entre l’imagination poétique et la science est plus superficielle que profonde, et la poésie aura toujours sa raison d’être à côté de la science. M. Matthew Arnold a dit, dans son Essai sur Maurice de Guérin : « La poésie comme la science est une interprétation du monde ; mais les interprétations de la science ne nous donneront jamais ce sens intime des choses que nous donnent les interprétations de la poésie, car elles s’adressent à une faculté limitée, non à l’homme entier : voilà pourquoi la poésie ne peut périr. » Tous les efforts du savant tendent à abstraire des choses qu’il observe sa propre personnalité ; mais, après tout, le cœur humain est une partie maîtresse du monde ; entre lui et les choses doit exister une nécessaire harmonie : le poète, en prenant conscience de cette harmonie, n’est donc pas moins dans le vrai que le savant ; un sentiment vaut autant par lui-même qu’une sensation ou une perception. Ce n’est pas seulement la chose vue qui a une « valeur objective, » c’est l’œil même qui voit. Nous ne pouvons pas plus abstraire notre cœur du monde que nous ne pourrions arracher le monde de notre cœur. Tous les théorèmes de l’astronomie n’empêcheront jamais que la vue du ciel infini n’excite en nous une sorte d’inquiétude vague, un désir non rassasié de savoir, qui fait la poésie du ciel. Les