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Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/148

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si élégantes des cristaux de neige. Un roc arrondi, strié de déchirures parallèles, suffit pour évoquer aux yeux l’image d’un glacier glissant silencieusement sur lui, il y a un million d’années. Grâce à la complexité croissante de nos connaissances acquises, chacune de nos sensations ne vient plus maintenant au jour qu’enlacée, enveloppée par une multitude d’idées qui la pressent et la soutiennent de leurs replis sans nombre, comme ces lianes inextricables qui courent dans les forêts vierges et recouvrent tout de leurs branches légères. Une science prise à part ne peut sembler, au premier abord, ennemie de la poésie que parce qu’elle est spéciale, trop cantonnée dans un coin de la réalité. Au contraire, une science universelle et synthétique aurait une poésie venant de son immensité même. La science, parce qu’elle a l’œil fixé sur la nature, n’est pas nécessairement terre à terre : le ciel n’est-il pas aussi dans la nature ?

Non seulement la science nous inspire par elle-même un sentiment analogue à celui du divin, mais en outre elle ne préjuge rien sur le fond des choses, elle laisse le philosophe ou le poète généraliser dans leurs hypothèses les données certaines qu’elle nous fournit. Si le paganisme nous permettait de retrouver derrière les choses des volontés semblables aux nôtres, au fond la science maintient encore aujourd’hui cette conception. Elle ne supprime que le merveilleux et le miraculeux ; mais elle laisse dans le monde une vie sourde semblable à la nôtre, peut-être une conscience indistincte, peut-être une aspiration vague vers le