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Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/158

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CHAPITRE VI
DE L’ANTAGONISME ENTRE L’ESPRIT SCIENTIFIQUE ET LE SENTIMENT. — ÉVOLUTION DES SENTIMENTS HUMAINS

L’imagination et l’instinct du génie, pour produire, doivent être excités et fécondés par le sentiment : il faut aimer son idée pour éprouver le besoin de lui donner vie ; or, entre la science et le sentiment, on a encore établi un antagonisme. Stuart Mill lui-même, dans son espèce de confession morale (Autobiography), reconnaît que l’analyse a une « force dissolvante » qui produisit en lui une crise bien connue de désespoir : « L’analyse tue le sentiment. » À cette crise il ne trouva un remède que dans l’art le plus éloigné de l’analyse réfléchie et de la réalité positive : la musique. Cette troisième opposition entre l’art et la science est-elle donc plus profonde que les autres ?

Ce serait évidemment une erreur de se figurer les sentiments humains, même les plus primitifs, comme invariables à travers les siècles. Ils se transforment lentement, mais d’une façon continue, et M. Taine l’a très bien montré dans sa Philosophie de l’art. Essayons d’établir, ce qu’il