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Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/178

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sait des champs, des plantes, des paysans : le sentiment de la nature venait se mêler à la pure description d’un art et de ses procédés.

En résume, la science, pour inspirer l’art, doit passer du domaine de la pensée abstrailu dans celui de l’imagination et du sentiment : si on peut un jour écrire sur les idées universelles de la science, ce sera en prenant pour moyen les émotions qu’elles excitent. À ce prix seulement la science sera devenue poétique et, comme dirait Schiller, « musicale. » La poésie, en effet, comme le croient les esthéticiens allemands, a de nombreuses analogies avec la musique, cette poésie des sons ; or nous avons vu que la musique, de plus en plus savante et complexe, cherche à mettre le monde entier dans ses symphonies : la voix humaine ne nous suffirait plus aujourd’hui si nous l’entendions isolée, à part de ce frémissement des choses qu’essaye de nous représenter l’orchestre. Ainsi en sera-t-il un jour pour la grande poésie, où ne pourront plus suffire les broderies mélodiques semblables aux « airs à roulades » de la vieille musique italienne ; on réclamera une harmonie plus ample, et le poète, s’inspirant de la science, qui est au fond la recherche de l’harmonie universelle, s’efforcera d’entendre et de traduire toutes choses à sa manière, sous forme d’accords. Rien n’y restera simple et pauvre, isolé, abstrait artificiellement du reste du monde. Selon un de nos savants contemporains, si nous avions une oreille infiniment délicate, nous pourrions, dans une forêt en apparence silencieuse, saisir les pas innombrables des insectes, le