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Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/199

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douze individualités distinctes, sur lesquelles on peut compter également pour composer le bataillon sacré du vers. Cette assimilation des syllabes les unes aux autres ressemble un peu à ce qu’on appelle en musique le tempérament, avec cette différence que c’est la durée et non la hauteur des sons qui est ainsi tempérée. Le vers français offre par là, en théorie, plus d’une analogie avec le piano, cet instrument imparfaitement juste et qui eût peut-être choqué l’oreille antique, mais dont la sonorité laisse bien loin la flûte double et la lyre à sept ou dix-huit cordes.

Maintenant pourquoi le nombre douze, qui régit l’alexandrin, est-il celui qui semble satisfaire le plus complètement notre oreille ? Nous croyons que sa supériorité, admise sans raisonnement par les poètes, peut se démontrer d’après les deux lois suivantes :

1o Toute succession de syllabes, surtout lorsqu’elle excède le nombre huit, ne peut être dénombrée facilement par l’oreille si elle n’est pas divisée au moins en deux parties, de manière à former une phrase musicale d’au moins deux mesures. Cette division se fera, comme elle se fait toujours en musique, à l’aide d’un temps fort que marquera la voix. Pour que la voix puisse marquer ce temps fort, il faut qu’il tombe sur une syllabe déjà sonore et portant un accent tonique. Le temps fort, multipliant ainsi l’accent tonique, constituera la césure.

2o Cette césure doit couper le vers soit en deux membres égaux, ce qui est l’idéal, soit en deux parties inégales dont les nombres offrent des rapports simples et soient divisibles par le même chiffre.