Aller au contenu

Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ajoute un autre secondaire, que M. de Fouquières a tort de vouloir nier[1], celui de nous faire entendre deux fois la même consonance, c’est-à-dire le même timbre, le même accord harmonique. On sait que dans le langage chaque voyelle a un timbre particulier, et que le timbre n’est autre chose qu’un accord entre la note fondamentale et les sons élémentaires appelés harmoniques[2]. Tout langage est donc une suite d’accords ; mais dans la prose ils se succèdent irrégulièrement, dans le vers ils reviennent en nombre égal et à temps égaux : le vers, même considéré indépendamment de la rime, est déjà, en toute vérité et sans aucune métaphore, une organisation élémentaire de la musique renfermée dans le langage. En l’entendant, l’oreille éprouvera la satisfaction qu’elle éprouve en présence de toute musique : après chaque accord, elle attendra le suivant, sans crainte de surprise, sans que les vibrations harmonieuses qui s’éteignent en elle soient contrariées par celles qui renaissent à l’instant. La suite rythmée des voyelles, dont chacune est un accord sourd, forme une symphonie voilée, quelque chose comme la voix d’un orchestre entendue sur une plage de très loin, sans qu’on puisse nommer

  1. Voy. Traité de versification française (Charpentier).
  2. Sans entrer dans les expériences de Helmholtz, ou peut démontrer d’une façon très simple que la variation des voyelles est due aux variations de timbre. On fait rendre à une guimbarde le son propre de chaque voyelle, tout en restant muet soi-même et en se bornant à remuer la bouche devant la languette vibrante de la guimbarde, comme pour prononcer un a, un e, etc. Les diverses positions de la bouche suffisent à modifier le timbre de la note produite, en amenant avec des différences d’intensité les séries de sons harmoniques dont elle se compose.