Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/236

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se fondre l’une dans l’autre ; en anglais, au contraire, le son d’une voyelle consiste en général dans la fusion de deux ou trois sons divers, parfois d’une véritable gamme de sons : il suffit de prendre pour exemple la simple interjection : Ah !

La rencontre des voyelles ne pourra donc jamais être dans les vers français qu’une exception. De là à bannir du vers ces locutions adverbiales, ces dissonances consacrées par l’usage : sang et eau (Racine), folle que tu es (Musset), vingt et un (V. Hugo), etc., il y a loin. Certains hiatus, comme il y a, sont harmonieux à cause de la parfaite fusion des voyelles l’une dans l’autre. En général, la rencontre de la voyelle i avec les autres est peu choquante, parce qu’elle se rapproche du son de l’l mouillée ; mais la rencontre de l’é et de l’a, par exemple, est très dure[1]. Pour que l’hiatus puisse s’ériger en règle et en coutume dans le vers français, il faudra que notre prononciation actuelle se soit modifiée bien profondément, et nous sommes loin de cette époque, qui n’est pas après tout très désirable.

  1. Comme dans des vers tels que celui-ci :


    Qui nous a torturé à fond pour nous lancer…
                                               (Vergalo, Le livre des Incas)


    Cependant M. Sully Prudhomme, dans une lettre publiée par M. Vergalo et qui semble authentique, lui a donné absolution entière pour ses hiatus. C’est là, semble-t-il, une absence momentanée de la part d’un musicien aussi raffiné que M. Sully Prudhomme.