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Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/241

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retour vers l’enfance même de l’art[1]. Tandis que les poètes contemporains, s’imaginant suivre l’exemple de Victor Hugo, montrent une oreille si peu difficile en ce qui concerne la césure, ils ont des recherches, des raffinements de toute sorte en ce qui concerne la rime. C’est que, selon eux, ce raffinement de la rime peut seul compenser les négligences dans la mesure du vers ; comme si on compensait une négligence par une affectation ! Selon une métaphore de Sainte-Beuve reprise par M. Legouvé, la rime est l’agrafe d’or attachant autour du sein de Vénus l’écharpe divine, toujours prête à retomber et qu’elle relève toujours ; de notre temps, Vénus se démène si bien que l’écharpe du

  1. M. de Banville veut qu’on fasse les vers à la façon de Chapelain, que Saint-Évremond représente composant ainsi un madrigal :


                « Qui vit jamais rien de si beau…
    (Il me faudra choisir pour la rime flambeau)
                « Que les beaux yeux de ma comtesse…
    (Je voudrais bien aussi mettre en rime déesse),


    M. de Banville ne se serait pas contenté à moins de prophétesse.


                « Qui vit jamais rien de si beau
                « Que les beaux yeux de ma comtesse ?
                « Je ne crois point qu’une déesse
                « Nous éclairât d’un tel flambeau.
                « Sa clarté qu’on voit sans seconde,
                « Éclairant peu à peu le monde,
                « Luira même un jour pour les dieux…
    Je ne suis pas assez maître de mon génie :
    J’ai fait sans y penser une cacophonie.
    Qui me soupçonnerait d’avoir mis peu à peu !
    Ce désordre me vient pour avoir trop de feu. »


    Beaucoup de nos parnassiens modernes sont des Chapelains ; mais quelques-uns n’ont même plus peur des hiatus.