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Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/252

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de rimes, » pourrait dire aussi notre grand V. Hugo de certaines de ses œuvres.

L’impossibilité de rester simple en chercliant des rimes riches risque à son tour d’entraîner comme conséquence un certain manque de sincérité. La fraîcheur du sentiment pris sur le vif disparaîtra chez l’artiste de mots trop consommé ; il perdra ce respect de la pensée pour elle-même qui doit être la première qualité de l’écrivain. Il est bon quelquefois de parler par métaphores et par tirades ; il est bon aussi de dire tout simplement sa pensée, telle qu’elle est éclose au fond du cœur. Lorsque le poète décrit ou raconte, l’exagération du coloris est encore pardonnable : on peut charger un paysage, cela n’a qu’un demi-inconvénient ; la terre est grande, et il est généralement possible de localiser quelque part ce que le poète nous fait voir. Aussi est-ce dans la poésie descriptive que la recherche de la rime a le moins de danger : les parnassiens l’ont bien senti, et leur école est celle de la description à outrance. Le poète, lorsqu’il veut décrire, se trouve en présence d’une multitude d’images simultanées, qui lui sautent aux yeux suivant le hasard de son regard : il n’importe quelquefois guère de mettre l’une avant ou après l’autre. De plus, rien ne serait froid comme une description méthodique et raisonnée, qui ressemblerait à une estimation de commissaire-priseur ; il y a dans la nature même un certain désordre : il faut l’y laisser. L’association des mots et des rimes peut donc avoir ici le pas. Lors même que, poussé par la rime, le poète rapproche deux images qui semblent discordantes, il produit souvent ainsi des con-