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Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/260

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délayaient leur pensée ; l’idéal nouveau est de la condenser dans la mesure où on le peut sans lui ôter rien de sa clarté, et tel est au fond l’idéal même de toute poésie, La puissance et la variété de la pensée font l’harmonie du vers. Un des caractères de la phrase poétique, en effet, c’est qu’elle doit être plus nerveuse que la phrase en prose ; les douze syllabes d’un vers doivent donner, nous l’avons vu, une idée de plénitude que douze syllabes du langage ordinaire ne sauraient donner : il faut donc qu’elles renferment et éveillent plus d’idées. Il faut que chaque mot porte, et que l’ensemble du vers vibre comme une corde d’instrument bien tendue. Le vers à coupe variée, qui, une fois dépouillé de ses défauts, permet plus qu’aucun autre cette concentration des idées, est bien celui qui convenait le mieux à l’époque où la pensée est le plus pressée, le plus vive d’allure, au dix-neuvième siècle. Tandis que notre langue vulgaire et même le vers des siècles précédents n’est souvent qu’une traduction diffuse de la pensée intérieure, le vers moderne essaye de rendre celle-ci dans toute sa puissance et sa vie ; c’est une traduction tellement proche du texte qu’elle donne parfois l’illusion de l’original : le poète semble se livrer à nous tout entier, et on croit sentir passer directement en soi l’âme même de nos grands hommes envolée avec leurs chants.

Alors que le romantisme marquait l’invasion d’idées nouvelles dans la poésie, on n’y a vu souvent qu’une innovation dans les mots, une réforme du vocabulaire, un retour au terme propre. Lui-même ne s’est guère mieux interprété ; attachant une importance essentielle à la rime,