Aller au contenu

Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/265

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tâche d’introduire les mots de remplissage. L’imagination étant plus libre à notre époque, on craint moins la discontinuité dans la pensée : pour amener une rime riche, on se borne donc à inventer une métaphore plus ou moins baroque, une comparaison des plus inattendues, et par cette transition tout artificielle, qui dissimule la cheville au cœur du vers, on réussit à accoupler deux rimes surprises de se trouver ensemble. Aussi les vers faibles de nos jours ne ressemblent-ils en rien à ceux du dixseptième siècle : au lieu d’être simplement nuls, ils sont extravagants. Dans V. Hugo, remarquons-le, il y a peu de vers vraiment vides, mais des vers étranges, qui déconcertent. Par exemple, après avoir parlé dans les Contemplations de la toute-puissance du mot, cet être ailé « qui sort des bouches, » V. Hugo ajoute aussitôt :


La terre est sous les mots comme un champ sous les mouches.


Cette comparaison est évidemment une cheville destinée à amener la rime ; mais le point faible n’apparaît pas à la rime même, qui est sonore et faite d’un substantif ; il est dans tout l’ensemble du vers et dans l’image d’assez mauvais goût qui le remplit. Ainsi de nos jours la cheville peut coïncider avec des rimes a pittoresques ; » ce qui était impossible au dix-septième siècle, lorsque la pensée du poète se déroulait logiquement dans sa nudité et que le mot mis pour la rime, honteux de lui-même, se gardait de faire trop de bruit. Parfois alors, on distendait sa pensée pour la mettre en vers ; maintenant on préfère la laisser diva-