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Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/27

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la jouent pour ainsi dire intérieurement : leurs nerfs vibrent à l’unisson, et lorsque le principal héros épouse à la fin de la pièce quelque amante adorée, on peut dire que toute la salle ressent un peu de son bonheur. En général, la vivacité du plaisir esthétique est proportionnée à l’activité de celui qui l’éprouve : un exécutant et un artiste inspirés jouissent donc eux-mêmes plus que leurs auditeurs.

Ainsi nous voyons s’effacer la distinction établie par l’école de l’évolution entre le jeu et l’art. Dirons-nous donc que tout jeu renferme des éléments esthétiques ? — Cette doctrine est plus conséquente, et elle est vraie. Le jeu, en effet, est l’art dramatique à son premier degré. Même quand il est purement physique, il est une mise en œuvre de la force et de l’adresse, deux qualités essentiellement esthétiques : l’impuissance et la gaucherie ont en elles-mêmes quelque chose de laid et de grotesque. Au fond, ce n’est pas sans raison que la supériorité dans les jeux de force ou d’adresse a été de tout temps considérée comme une qualité esthétique, un moyen pour un sexe de captiver l’autre. Le jugement féminin est peut-être sur ce point plus sûr que celui de nos savants.

Déjà nous avons beaucoup agrandi la définition du beau donnée par MM. Grant Allen et Spencer. Mais l’esthétique ne commence-t-elle vraiment qu’avec le jeu ? Tout ce qui est sérieux en nous cesse-t-il d’être beau ? Toute action qui a un but en dehors d’elle-même, toute action utile ne peut-elle nous apparaître comme belle sous le même rapport ? On se rappelle avec quel soin M. Spencer sépare le beau de l’utile. M. Grant Allen est plus précis encore :