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Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/270

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En même temps elle a celle du pressentiment : ce n’est pas sans motif que l’antiquité voyait en l’inspiration des grands poètes une sorte de divination. Dans les cirques de montagnes se trouvent des recoins profonds où viennent coïncider tous les bruits des monts qui s’élèvent à l’entour ; un écho musical en sort qui résume en lui la vie de toute la montagne, depuis sa base jusqu’à son faîte : c’est ainsi que, dans le cœur des grands poètes, tout le cycle de la vie humaine vient pour ainsi dire aboutir et éveiller une voix ; le passé, le présent, l’avenir des générations qui s’accumulent autour d’eux et au-dessous d’eux viennent également y retentir. Les Homère et les Shakspeare ont senti tressaillir en eux le fond éternel de la nature humaine. « Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. » Ils sont eux, ils sont nous, ils sont aussi l’avenir. La pensée qu’ils expriment, tout imprégnée de sensibilité, est ce qui, dans l’homme, ne passe pas, ce qui survit aux formes souvent fragiles où s’enferme l’intelhgence abstraite. Nous savons que la poésie est à peu près par rapport à la prose ce que les cris et les plaintes sont par rapport au langage articulé ; or un cri, c’est la joie ou la douleur rendue présente et saisissable pour toute oreille, à toute époque de l’histoire, en tout pays : c’est donc un langage toujours sur d’être compris et dont la prose ne saurait jamais acquérir l’universalité. Ajoutons que le principe de la poésie — la sensibilité, avec sa joie et ses peines — semble être aussi le principe premier de toute pensée comme de tout langage. S’il en est ainsi, si des profon-