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Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/32

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agréable et tend à devenir esthétique, à condition que le désir ne soit pas trop violent.

Nous nous trouvons ici en butte à des objections importantes de M. Spencer. Ce dernier considère le besoin et le désir qui en naît comme excluant toute émotion esthétique. Défendant contre nous sa théorie[1], il pose ce principe : « rechercher une fin comme servant à la vie — c’est-à-dire comme bonne et utile — c’est nécessairement perdre de vue son caractère esthétique, » M. Spencer reprend ensuite l’exemple des halles de Paris et fait la supposition suivante : « Je suis en quête de nourriture, j’ai à trouver le marché des subsistances ; suivant des directions données, je découvre le marché central de Paris, et enfin, le reconnaissant comme tel, j’y procède à mes achats et commissions ; — je me sers alors de mes perceptions visuelles en vue de l’alimentation, pour des fins destinées à soutenir la vie. Quand j’use ainsi de mes pouvoirs visuels, j’en use d’une façon que je regarde comme en antithèse avec leur usage pour une action esthétique… Aussi longtemps que, dans de tels cas, l’esprit est purement occupé à guider des intérêts pour le maintien de la vie, il n’est le siège d’aucun sentiment esthétique. »

— Sans doute, répondrons-nous ; car, pour éprouver un plaisir esthétique, encore faut-il d’abord éprouver un plaisir quelconque ; il n’y a rien d’esthétique dans un état indifférent et neutre, et tel est précisément celui que

  1. Dans une lettre très intéressante qu’il nous a adressée au sujet d’une étude publiée par nous dans la Revue des Deux-Mondes (août 1881). Cette étude est reproduite ici même.