Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/36

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il y a dans ces vers une sorte d’épanouissement physique : c’est l’ivresse de la liberté en son sens à la fois le plus élevé elle plus matériel, l’ivresse de la fuite, de la course en plein vent, du retour à la vie presque sauvage des champs et des grèves. — Si, des fonctions de nutrition et de locomotion, nous passons à celles de reproduction, leur importance au point de vue esthétique nous paraîtra encore plus considérable. L’amour, même sous la forme du désir, n’est-il pas un élément qui, plus ou moins voilé, joua toujours un grand rôle dans la poésie ? Il entre aussi comme élément essentiel dans le plaisir que nous causent les belles formes ou les belles couleurs de la statuaire et de la peinture, les sons doux, caressants ou passionnés de la musique. Le type de l’émotion esthétique est l’émotion de l’amour, toujours mêlée d’un désir plus ou moins vague et raffiné. La beauté supérieure, quoi qu’en dise Kant, est la beauté féminine ; or, les qualités que nous trouvons les plus dignes d’admiration chez la femme sont aussi, en grande partie, celles qui sont de notre part l’objet du désir. Une belle femme, pour un homme du peuple, est une femme grande, vigoureuse, aux fraîches couleurs, aux formes amples, et c’est aussi celle qui peut le mieux satisfaire l’instinct sexuel. Si, dans les classes élevées de la société, l’idée du beau ne correspond plus aussi exactement avec les besoins primitifs de la race et de l’individu, c’est que ces besoins mêmes se sont modifiés d’une manière générale et épurés peu à peu. La plus belle femme, à nos yeux, est toujours celle qui correspond le mieux aux aspirations de notre être individuel, aux sentiments et aux