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Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/83

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joie que nous causent le passage de l’obscurité à la lumière, l’éclat du ciel bleu, la vivacité même de la couleur, marque-t-elle un bien-être total de l’organisme en même temps qu’une fête des yeux. La plante, quoiqu’elle n’ait pas le sens de la vue, pourrait éprouver quelque chose d’analogue en passant de l’ombre au soleil, elle qui se fane dans l’obscurité et se tourne toujours vers la clarté du soleil, comme si elle la voyait. Ici encore il faut se garder de ramener le plaisir esthétique au jeu d’un organe particulier. La poésie de la lumière vient de sa nécessité même pour la vie et de l’ardente stimulation qu’elle exerce sur tout notre organisme. Le plaisir que nous cause le lever

    d’eau à l’intérieur ; si on plonge dans l’eau un corps bleu ou rouge, dit le physiologiste allemand Ehrenberg, « on observe au microscope une grande agitation autour des masses arrondies ; cette agitation résulte de l’action commune de tous ces animaux qui, comme les bêtes d’un troupeau ou des bandes d’oiseaux, ou encore comme des foules d’hommes qui chantent ou qui dansent, suivent un rythme commun et adoptent une même direction sans en avoir une claire conscience : tous ces polypiers nagent vers l’objet coloré. » On connaît les expériences de M. Paul Bert sur les Daphnies, petits crustacés presque microscopiques, qu’il avait placés dans un vase obscur où la lumière pénétrait par une fente étroite. Il fait tomber sur cette fente une région quelconque du spectre : aussitôt les petits crustacés, jusqu’alors dispersés au hasard dans toutes les parties du liquide, nagent en foule dans la direction du rayon lumineux ; seulement ils accourent plus vile quand ce sont des rayons jaunes ou rouges que lorsque les rayons sont bleus et surtout violets ; enfin ils sont insensibles comme nous aux rayons ultra-violets ou ultra-rouges. — Dans une cuve à glaces parallèles pleine de Daphnies, M. Paul Bert ayant projeté à la fois tous les rayons du spectre vit son petit peuple se grouper de préférence dans les régions du spectre qui vont de l’orangé au vert ; il y en avait moins dans le rouge, beaucoup moins dans le bleu, très peu dans le violet, plus du tout au delà : il avait composé ainsi une sorte de gamme vivante correspondant à l’intensité décroissante des rayons lumineux.