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Page:Haeckel - Religion et Évolution, trad. Bos, 1907.djvu/121

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Dennert et autres adversaires de mes Énigmes de l’Univers, auxquels j’ai répondu quelques mots dans l’appendice qui fait suite à ces conférences. Je rejette purement et simplement les nombreux mensonges de ces pieux champions de Dieu ; nous autres naturalistes, nous avons de la vérité une autre conception que celle qui règne dans les milieux ecclésiastiques[1].

Je voudrais ajouter encore un mot sur la question des rapports de notre connaissance de la nature avec le christianisme et je remarquerai simplement que la première est inconciliable avec les dogmes mystiques et la croyance au surnaturel du second, mais qu’elle reconnaît pleinement la haute valeur éthique de la morale chrétienne. Il est vrai que les préceptes les plus élevés de cette religion, la pitié et l’amour du prochain en premier lieu, ne sont pas des découvertes nouvelles du christianisme, mais étaient déjà enseignés et pratiqués, comme la « règle d’or » de la morale, bien des siècles avant J.-C. Au christianisme revient pourtant le mérite de les avoir prêchés et développés d’une façon plus chaleureuse ; en outre, il a agi victorieusement en son temps sur les progrès de la civilisation, bien qu’ensuite, le papisme du Moyen-Âge, avec l’Inquisition, les procès de sorcellerie, les bûchers et les guerres de religion ait fourni le plus sanglant antipode à la douce religion de l’amour. Quant au christianisme historique orthodoxe, il n’a pas été ruiné directement par les sciences naturelles modernes, mais par les honnêtes et érudits théologiens eux-mêmes. Déjà le protestantisme éclairé qui, ici même à Berlin, atteignit il y a quatre-vingts ans, grâce à Schleiermacher une si haute valeur, plus tard les œuvres

  1. Profanation de la Sing-Akademie de Berlin. — Parmi les nombreuses attaques et injures que les journaux pieux de la capitale m’ont adressées pendant que je faisais, à Berlin, mes conférences, revenait souvent ce reproche que « la salle, de tous temps respectable, de la Sing-Akademie serait honteusement profanée par ces conférences ». En même temps que je remercie mes noirs ennemis de cette involontaire marque d’honneur, je les prie de la reporter à un plus grand naturaliste que moi, à Alex. de Humboldt. Car ce célèbre savant berlinois fit, au même endroit, il y a de cela 77 ans (en 1828), les conférences si justement applaudies d’où sortit son œuvre principale, le Cosmos. Ce grand homme, qui avait exploré le monde, dont le regard clair avait reconnu la régulière unité de la nature dans son ensemble et qui, avec Goethe, trouvait là la vraie connaissance de Dieu — essayait alors d’exposer au public cultivé de Berlin sous une forme populaire très élégante les « Principes de la description physique de l’Univers » et de montrer partout la prédominance de la loi naturelle. Ce que j’essayai 77 ans plus tard d’établir au sujet du monde organique, c’est exactement ce qu’en cette même salle Humboldt avait démontré au sujet de la nature inorganique ; je voulais faire voir comment les progrès immenses de la biologie moderne (depuis Darwin) nous permettent de résoudre jusqu’au plus difficile de tous les problèmes, celui du développement historique des plantes et des animaux et à leur sommet, de l’homme, par l’application des mêmes « grandes lois éternelles et d’airain ». Humboldt avait recueilli, d’une part, la gratitude et le succès le plus vifs, dans tous les milieux où la pensée est libre et où l’on a soif de vérité, — d’autre part, en revanche, la désapprobation et les soupçons, dans les milieux berlinois orthodoxes et conservateurs et dans l’entourage de la cour ; le général de Witzlehen avait représenté au roi de Prusse combien ces doctrines « ennemies de la foi » menaçaient la puissance de la « religion » sans laquelle l’État ne pouvait subsister ! Néanmoins, Humboldt était trop considéré par la cour de Prusse (qui, elle-même assistait aux conférences du savant et marquait son approbation) pour être sérieusement menacé par ces dénonciations. S’il vivait encore aujourd’hui et s’il se risquait à enseigner, comme une conséquence naturelle de son Cosmos, la théorie de la descendance et de l’anthropogénie, il aurait, à la cour actuelle, une situation difficile ! D’ailleurs je conseille aux pieux soutiens du trône et de l’autel, qui se plaignent aujourd’hui amèrement de la « profanation de la Sing-Akademie », de remédier au mal de remédier au mal par les procédés de la désinfection moderne, ainsi que le pape, en septembre 1904, a fait désinfecter les saintes églises de Rome, « profanées » par le Congrès de la libre-pensée. Je ne crois pas en tous cas que le bacille de la vérité, si redouté et si haï, puisse être détruit par ces fumigations de formol, pas plus que par les déclamations des prédicateurs de la cour berlinoise, qui se lamentent sur les théories destructives de l’évolution et de la descendance du singe !