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Page:Hans - À L'Yser, 1919.djvu/26

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La guerre moderne

— Le feu ! s’exclama Pélagie dès qu’elle fut dehors et qu’elle vit les flammes projeter de toutes parts leurs lueurs fauves. Quel horrible spectacle !

— Allons, hâtons-nous ! insista Berthe, craignant toujours que son père ne revint sur sa décision.

— Eh bien, Monsieur Lievens, vous videz également les lieux, dit un bourgeois qui se trouvait tout calme sur le seuil de sa porte. J’avais pourtant crû que vous auriez été un des derniers.

— Et vous, qu’allez-vous faire ?

— Oh moi, je ne fuis pas encore… J’ai tout le temps ! Je n’abandonne pas ma maison d’un instant à l’autre. Et d’ailleurs ce qui m’engage davantage à ne pas encore partir en ce moment, c’est que je constate que la proportion des habitants qui restent est beaucoup plus forte que celle de ceux qui fuient.

Berthe fit signe au bourgeois de se taire, mais c’était trop tard.

— Vous entendez ! cria Lievens. La plupart des habitants restent ! Et moi je m’enfuirais. Jamais ! Je ne me laisserai pas monter la tête par deux femmes. Va avec Pélagie à Oostkerke, Berthe !

— Non, papa…

— Je l’ordonne !

— Je te répète que cela m’est impossible. Nous partirons ou nous resterons ensemble…

— Et si je ne veux pas, moi… Ne te fais plus d’illusions, la plupart des habitants restent et j’imiterai leur exemple…

— Alors je rentrerai avec toi à la maison, viens, papa…

— Vieux bavard ! dit Pélagie, toute fâchée, au voisin… Si tu veux risquer ta carcasse, ça te regarde, mais ne t’occupe pas des affaires d’autrui.

— Chacun est libre d’agir tel qu’il lui plait, Pélagie.

— Oui, et quelques imbéciles organiseront sans doute un concours pour voir qui restera le plus longtemps sur les lieux…

— Ma bonne Pélagie, ne nous chamaillons pas, la guerre est déjà suffisamment répandue ; gardons la paix à Dixmude. Si vous éprouvez des transes, partez !

— Je n’ai pas peur, mais j’insiste pour mademoiselle Berthe…

— Viens ! dit Berthe lui faisant signe, et la vieille servante suivit son maître et sa maîtresse en grognant.

Bien tard dans la soirée, un paysan apporta une lettre de Verhoef.

— Il vit ! jubilait Berthe avant même qu’elle en eût lu la teneur.

Quoiqu’elle avait vécu toute la journée dans des transes mortelles, son esprit s’intéressait sans cesse à l’aimé…

Elle était abritée par les solides voûtes de la cave, mais Paul était exposé au feu, à l’horreur de la bataille, à cet enfer !

Heureusement il était encore en vie. Il lui écrivait et Berthe lut :

« J’espère que vous vous êtes sauvés. Si non, fuyez illico. Notre situation est grave. Nous nous trouvons aux prises avec un ennemi débordant par le nombre. Nous nous battons avec la rage du désespoir, mais c’est une lutte qui ne laisse pas de doute. Nous devrons ployer. Fuyez ! Je vous en prie, je vous en conjure ! Priez pour moi, comme je prie pour ma bien-aimée Berthe.

À la hâte.

Ton Paul.

Berthe pleurait à chaudes larmes… C’était la voix de son fiancé à l’Yser, sortant des tranchées et du danger menaçant, qu’elle percevait…

— Mon Dieu, protégez-le, sauvez-le du péril, implorait-elle en sanglotant.

Elle passa la lettre à son père.

Mr. Lievens la lut…

— Désireux de nous écarter, Paul exagère, dit-il.