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Page:Hans - À L'Yser, 1919.djvu/77

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Et on entendait la voix mugissante du canon, hurlante et avide de proies nouvelles, convoitant une avalanche de jeunes vies…

Oui, c’était un entre mille qui reposait ici…

En revenant du cimetière, Berthe rencontra Madeleine Dekkers qu’elle vit dernièrement dans l’église, actuellement détruite, de Dixmude…

Madeleine était en grand deuil…

— Est-ce pour François ? demanda Berthe en embrassant son amie.

— Oui… mon malheureux frère est tombé près de Dixmude… La nouvelle a été terrible… maman en est gravement malade… notre maison est détruite et nous sommes actuellement hébergés avec une foule de fuyards dans une école… Et ton père, Berthe… j’ai appris l’accident… que c’est terrible… Et Paul, comment se porte-t-il ?

— Je suis sans nouvelles…

— Comment, tu ne sais pas ? Mais Madeleine n’en dit pas davantage.

— Oh, parle, dit Berthe toute agitée… tu as des nouvelles. Oh, dis-moi… dis-moi ce que tu sais. Il n’est pas mort, n’est-ce pas ?

— Non, il n’est pas mort, mais il est blessé.

— Gravement ?

— Non, ce n’est pas si grave…, à la jambe.

— Où est-il ? Oh, dis-moi, Madeleine, où est-il ?

— Je l’ai vu transporter en auto à l’ambulance, près de l’église.

— Y est-il encore ?

— Je l’ignore…

— Tu ne me tais rien ?… Oh, dis-moi s’il est mort… car j’espère encore maintenant.

— C’est la vérité, je t’ai dit tout ce que je savais.

— Allons immédiatement à l’ambulance, dit l’oncle Charles. Viens, nous y serons vite.

Il prit Berthe, qui tremblait d’émotion, sous le bras, et l’emmena.

Madeleine entra à l’église Saint-Nicolas.

Arrivé à l’ambulance, Charles Lievens apprit que le lieutenant Verhoef avait été transporté à Calais. Il proposa de s’y rendre seul pour s’informer à son sujet, mais Berthe voulut l’accompagner.

— L’incertitude me fait souffrir. Il est blessé. On ne me dit pas davantage… je suis anxieuse, laissez-moi vous accompagner ? implorait-elle. J’ai été forte lorsque papa a été tué, pourquoi ne le serais-je pas maintenant ?

Il fallut se procurer des passe-ports et cela n’alla pas sans difficultés car les bureaux étaient assaillis par de longues files de quémandeurs et il se passa deux jours avant que l’oncle, la tante et la nièce purent partir. Mélanie et Pélagie restèrent temporairement à Furnes.

Ce furent des heures d’angoisse, d’inquiétude, de crainte et d’espoir que la malheureuse jeune fille vécut. Le voyage même dura longtemps. À tout instant, le train s’arrêtait pour laisser passer des convois de soldats et de munitions. Tous les chemins débordaient de fuyards : hommes, femmes et enfants étaient chargés de paquets, fatigués et inquiets, c’étaient jadis des gens aisés maintenant chassés des villes et villages de la vallée de l’Yser ou d’Ypres où la bataille faisait rage.

L’oncle Charles avait été le témoin oculaire de la destruction de l’antique cité d’Ypres par les canons Allemands, qui y pulvérisèrent les superbes halles, la glorieuse cathédrale et tant de merveilleux immeubles. Il savait que la mort et la dévastation triomphaient à Passchendale, à Langemarck, à Gheluwvelt, à Wytschate, à Dickebusch et en tant d’autres sites de la patrie sanguinolante ; il avait appris que les cimetières prenaient une immense extension à Kruiseik, à Dadizeele, à Zandvoorde, au monticule 60, à St. Eloi et sous les murs mêmes d’Ypres… De nombreux concitoyens avaient déjà succombé sous les ruines de leurs maisons s’effondrant ou dans leurs caves qui cédèrent.

Et la guerre continuait à sévir en toute son horreur…

Tout ce qu’on voyait y faisait allusion… et surtout, ici, derrière le front, dans la direction de Calais, le port tant convoité par les Allemands…

Gott mit uns !… criaient-ils quoique leur marche sillonnait par des milliers et des milliers de tombeaux, par des ambulances qui répandaient des odeurs sanguines, par des ruines fumantes où habitaient encore de nombreux infortunés Belges et Français.

Profondément émue, Berthe entra dans la ville mouvementée de Calais. Y rencontrerait-elle son fiancé ? Elle désirait tant le voir… il était blessé, sa présence serait bienvenue… Elle ne chercherait pas à ce qu’il la consolât ainsi qu’elle l’avait désiré après toutes les horreurs endurées à Dixmude… Ce serait elle qui le consolerait, maintenant qu’il était le plus faible.

L’oncle Charles chercha tout d’abord une chambre… il trouva une mansarde… mais on dut faire bonne mine contre mauvaise fortune. On était abrité et ça devait suffire temporairement.

Il alla aux renseignements et échoua ainsi à bord d’un vaisseau-hôpital où on put lui fournir des détails… C’est là que Lievens apprit l’atroce vérité : le lieutenant était amputé de la jambe droite et résidait actuellement à Folkestone…

Quoique la nouvelle fut terrible, il devait en faire part à Berthe, il ne pouvait pas taire cet accident, il devait mettre une trève aux transes mortelles de sa filleule.

Il se composa une figure pour lui apprendre la triste nouvelle.

— Je sais maintenant où il est, dit-il gaiement, quoique son cœur battait à rompre. Il est à Folkestone…