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Page:Haraucourt - L’Âme nue, 1885.djvu/26

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LES LOIS.



Aux mois d’automne, aux mois rubiconds des vendanges,
C’est mon cœur qu’on foulait dans les pressoirs des granges ;
Et quand la vie intime et chaude crépitait
Sous la pulpe des fruits qui bout au fond des cuves,
Quand l’air lourd des hangars se saturait d’effluves,
    C’est mon rêve qui fermentait…

Mon rêve ! Fils bâtard des forces que j’héberge !
Dieu les accouple en moi comme dans une auberge,
Puis, né de la matière aveugle et du hasard,
Un feu court dans mon sang comme un torrent de lave,
Et libre, en moi, sans moi, sous mon crâne d’esclave,
    S’allume le brasier de l’art !


Ma volonté, néant, et mes cultes, fumée !
Je suis moyen ; je suis la brute désarmée ;
Je suis le point fatal où s’accomplit la loi,
Furtive éclosion d’un germe involontaire,
Atome, inconscience errant dans le mystère :
    Rien n’est à moi, pas même moi !