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Page:Haraucourt - La Peur, 1907.djvu/53

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LE SETUBAL

Il se dresse debout, il regarde, et il dit tranquillement :

— Oui, c’est un torpilleur, même qu’il n’a pas ses feux.

— Il nous gagne ?

— Sans douleur, tu peux croire.

Il rit, et je l’aurais étranglé, si j’avais eu des mains de reste, à l’entendre rire dans un moment pareil. Il se remet à tirer l’eau, mais nous en prenions plus qu’il n’en ôtait, car la mer se faisant plus mauvaise à mesure que nous venions au large.

Déjà je voyais, par à-coups, la cheminée du maudit torpilleur, par-dessus la crête des vagues, sortir, rentrer, et j’entendais de mieux en mieux : « Chu-chu-chu… »

Il venait sur nous. Bientôt, je vis une pointe, noire, avec l’écume blanche de chaque côté.

— Ils vont nous couler ! dit le barreur.

Et il donne un coup de barre à bâbord.

Il crie :

— Hé ! du torpilleur !

La grosse bête arrive et nous rase, à nous prendre dans son remous : nous n’étions pas à deux brasses. J’entends des voix qui disputent ; le lieutenant criait un ordre, et le se-