Aller au contenu

Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/115

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
111
les demi-civilisés

— Que voulez-vous que je fasse de vous ?

— Tout ou rien. Essayez toujours. J’ai beaucoup lu, beaucoup voyagé, beaucoup vu. Je suis sorti des études scolaires chargé de médailles, de prix et de brevets. Depuis, j’ai fréquenté des intellectuels, écrivains, artistes, savants, voire des ministres de mon pays. La vie intense a peut-être été, pour moi, une excellente école.

Je lui demandai ce qu’il entendait par la vie intense. C’était une provocation à des confidences. Et il se mit à parler de son passé en une si belle langue et d’une voix si prenante que je ne me lassai pas de l’entendre.

— J’ai vécu, disait-il. Vous savez ce que cela signifie. C’est donner un aliment à toutes ses facultés, à ses forces de penser, d’imaginer, de sentir, d’aimer. Toute la gamme des sensations, depuis le frisson de l’art jusqu’à l’avant-goût du suicide… Paris, Nice, Monte-Carlo, Deauville, les plages mondaines, les réunions d’artistes, les stages dans la solitude des montagnes, les péripéties de l’amour, les bons coups du hasard et les revers de fortune ont occupé mes dix dernières années.

Quand j’en avais assez de la vie parisienne, je prenais le « train bleu » et filais vers le sud. Je jouais la moitié de mon avoir en une soirée, perdais ou gagnais avec le même stoïcisme, puis je rentrais aux petites heures du matin, en compagnie de gais lurons qui saccageaient mes meubles pour faire rire leurs maîtresses. J’appartenais, comme vous voyez, à cette génération de jeunes fous qui avaient fait la guerre et qui voulaient rattra-