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Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/124

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les demi-civilisés

aller à tous les excès du manger, du boire et même de l’amour. Ces noces communautaires ont lieu surtout à la fin de la semaine, entre dix heures du soir, le samedi, et sept heures du matin, le dimanche, alors que chacun s’en va à l’église par scrupule ou délicatesse de conscience.

Pinon, ancien ministre, assez jeune encore pour jeter sa gourme, était spirituel, intelligent, léger, mais il avait oublié, comme la multitude de ses pareils, de se cultiver. Sa femme avait un furieux penchant pour les lettres, sans d’ailleurs en rien connaître. Elle aimait à réunir chez elle les jeunes gens qu’elle appelait pompeusement les intellectuels.

Nous avions, ce soir-là, le poète Louis Dumont, un petit brun trapu, au langage vert, qui passait aisément de l’obscène crudité aux élans mystiques ; le journaliste orthodoxe et dogmatique, Paul Meilleur, qui reniait, dans le privé, la plupart de ses écrits, et qui montrait un cynisme mâtiné de fatuité ; la mûre et ardente Michelle Vivier, maîtresse de Pinon ; Maryse Gauty, petite cérébrale, que l’on connaît déjà et que je cultivais ; enfin, la jeune Américaine, Kathleen Ross, « Little Lady Vagabond », publiciste de New-York, en tournée de louches reportages, mais très attachante.

Le cocktail, le scotch, le gin et le punch étant l’accompagnement obligé des réunions de ce genre, on devint bientôt très expansif. À chaque rasade, un morceau de pudeur s’envolait, et on parlait avec une dé-