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Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/147

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les demi-civilisés

dans mon cerveau, grandit, fit tache d’huile. Une véritable hallucination. Si je la poussais à mourir, me disais-je ? Le matin, le soir, durant la journée, même en plein sommeil, une voix me disait : « Elle doit mourir pour toi, pour racheter tes fautes. » J’ai toujours cru qu’il y avait une justice immanente et que quelqu’un devait souffrir et mourir pour effacer le mal.

— Tu parles comme un monstre. Explique vite.

— La petite vint me voir il y a un mois. Elle sanglota deux longues heures dans mes bras. J’en étais excédé. Elle me dit qu’elle ne survivrait pas à mon abandon, qu’elle m’avait donné sa vie, sa réputation, son honneur sa santé, qu’elle étouffait dans le milieu rigide où elle languissait, au fond de la campagne, qu’elle pensait à moi nuit et jour, qu’elle ne concevait pas l’existence sans moi et qu’elle finirait par se tuer.

Elle fut pathétique, très pathétique. L’émotion me gagnait malgré moi, et je me durcissais pour n’être pas vaincu. Cette victoire sur moi-même remportée, je dis à la petite :

— Tu serais vraiment prête à mourir pour moi ?

— Oui, puisque ma vie, c’est toi, et que tu t’en vas.

— Ce que tu dis là est une figure qui traîne dans tous les vieux répertoires amoureux.

— Pour moi, c’est une réalité.

— Dans ce cas, si je te dis que je ne puis rester à toi, qu’il faut que je me retire de toi, pour toujours, sans espoir, que feras-tu ?