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Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/152

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les demi-civilisés

est leur maître. C’est elle qui les force à une sorte de dévouement intéressé, qui va du jour de l’an à la St Sylvestre. C’est pour cette raison que les démocraties sont capables de bonheur. Mais trêve de politique ! Parlons des femmes. Ce qu’elles sont jolies, ce soir !

Dans la foule, un visage m’apparut, qui faillit m’arracher un cri. C’était Dorothée, plus belle que jamais, en un décolleté vert pâle qui montrait la finesse de sa peau et la délicatesse de ses épaules. Elle ne souriait pas. Ses yeux bistrés, taillés en amande, ces yeux que j’aimais tant, pour la vie qui brillait en eux, étaient tristes.

Quand la danse fut commencée, on vit, au buffet, une procession ininterrompue. Des groupes de jeunes gens et de jeunes filles burent le champagne avec tant d’avidité que plusieurs perdirent bientôt la notion de la ligne droite et firent leurs pas en dentelle.

De temps à autre, Dorothée passait devant moi au bras d’un danseur inconnu, si élégante, si mignonne, que je fus empoigné d’un regret immense.

— Il faut, me dis-je, que je danse avec elle. C’est ce soir ou jamais que j’aurai une explication. Il y a trop longtemps qu’elle m’évite.

Je profitai d’un moment où elle traversait, dans un remous, le salon principal, pour l’aborder et lui dire à voix basse :

— Dorothée, me ferez-vous la faveur d’une danse ? Je veux vous parler.