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Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/156

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les demi-civilisés

faits certains sur lesquels je m’appuie pour apprécier autrement que vous ce patriotisme qui vous émeut. Les Français du pays avaient été conquis en 1760, quinze ans seulement, oui, quinze ans, avant la venue de Montgomery. Les Anglais étaient leurs ennemis de par la loi du sang et de la guerre, de par la loi de la nature. La génération qui avait été battue et matée vivait encore toute. Le vaincu ne doit jamais faire du zèle pour rester à l’état de vaincu. Autrement, il est un lâche.

— Quoi, nos ancêtres auraient été des lâches ?

— Non, ils ne l’ont pas été. Je le prouve. Presque toutes nos campagnes, de Montréal à Kamouraska, de la vallée du Richelieu à la Beauce, étaient prêtes à marcher fraternellement avec la liberté contre le conquérant d’hier. Nos terriens et paysans, tout ce que le peuple comptait de plus solide, de mieux trempé, de plus conforme au bon sens, saluait la libération. Qui a empêché ces braves gens d’agir ? Ce sont leurs chefs naturels qui leur ont lié les mains. Ces chefs n’ont pas trahi, non, mais je pense que les uns étaient comblés de faveurs, les autres, de craintes, les autres, de sottise. C’est ainsi qu’on nous a empêchés d’être les maîtres du monde.

Aujourd’hui, nous sommes les parias de l’Amérique, et nous avons l’une des civilisations les moins avancées de toutes les races blanches du globe. Nous payons cher notre servilité, n’ayant pour toute consolation que