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Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/20

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les demi-civilisés

forte, plus impérieuse. Alors paraissait près de moi le sourire du père Maxime : « Mais jette-le donc par terre, imbécile ! » Mes mains s’ouvraient, l’ostensoir tombait, et, tout à coup, les enfants de chœur en surplis blancs se changeaient en démons à surplis rouges. Les chantres se mettaient à danser une ronde infernale, à hurler des imprécations sacrilèges. Un diable, plus grand que tous les autres, s’emparait de l’ostensoir et le jetait au loin avec un éclat de rire. Je m’éveillais, poussant un cri de terreur. Ma mère, tirée de son sommeil, me demandait si j’étais souffrant. Elle ne sut jamais la cause de cette frayeur nocturne.

Ces faits sont sans importance dans la vie d’un homme. Dans la vie d’un enfant, c’est autre chose. L’être vierge agrandit démesurément toutes les idées, toutes les émotions, toutes les sensations. L’objet insignifiant ou négligeable aux yeux de l’adulte paraît énorme ou essentiel au garçon de douze ans. La preuve ? C’est que moi, qui remémore ces faits après tant d’années, j’en vibre encore. Je sais bien que j’ai pris à la petite église de chez nous tout ce que je porte en moi de tendre, de rêveur, de résigné, de doux, et, je l’avoue, de profondément passionné. Je sais également que je tiens un peu de Maxime ce que j’ai de raisonné, de réfléchi, d’ironique et de mécontent. Il a aiguisé, à mon insu, mon sens de l’observation et de la critique, en mettant en moi l’esprit qui transforme et réagit, l’esprit de contradic-