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Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/202

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les demi-civilisés

— J’ai filé la laine qui t’habilla quand tu étais grand comme ça. Pourquoi rougirais-tu de moi ?

Et les voix continuaient :

— Je suis le bon blé que l’on coupait à la faucille.

— Je suis le petit lit bien chaud où tu dormais sur des coussins de paille qui sentait bon.

J’allais plus vite. On eût dit que tout cela marchait derrière moi en procession douloureuse, que tout cela voulait me tirer à soi, me confondre dans la mort, prendre un peu de la vie qu’on m’avait donnée.

Les paroles se faisaient plus humaines. Les murs avaient des échos de syllabes familières. Tout parlait ensemble :

— Te souviens-tu de nos bonnes chasses à la perdrix dans le verger ?

— Te souviens-tu quand je te prenais dans mes bras pour te hisser sur la charge de foin ?

— Te souviens-tu, mon fils, quand je te regardai pour la dernière fois ?

— Te souviens-tu quand grand-père te contait « Ali-Baba ou les quarante voleurs » ?

— Te souviens-tu quand moi, ton oncle, je te chantais des refrains drôles pour calmer tes chagrins ?

— Te souviens-tu de petite tante qui jouait à la mariée ?

— Te souviens-tu d’avoir aimé ?

— Te souviens-tu des morts ?