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Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/38

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les demi-civilisés

Le mépris et l’orgueuil de l’esprit m’avaient cuirassé contre les affronts, muets ou exprimés, de certains camarades. Mon extrême facilité à tout comprendre et à tout exprimer m’avaient donné de moi-même une opinion assez haute, et je pouvais me moquer des railleries de la médiocrité. Le jour viendra, me disais-je, où j’aurai ma revanche.

Pour Maria, c’était différent. Privé de la ressource suprême du mépris, je m’enfonçais dans le désespoir. Je me demandais sans cesse : « Comment se fait-il que cette enfant ne m’aime pas ? » Une voix me répondait, du fond de mon être : « Tu es timide, gauche et mal vêtu. Une belle fille n’aime pas les hommes timides, gauches et mal vêtus. » J’eus honte. Je me sentis nu, comme Adam après son péché. À ce moment-là, Maria serait venue vers moi en me tendant les bras et les lèvres que je serais rentré sous terre, tant je me voyais indigne et misérable devant elle, qui me semblait inaccessible.

Après l’apaisement de la nuit, la tentation me vint de la revoir. Ses parents tenant un modeste débit de tabacs, de bonbons et de liqueurs, j’entrai chez eux sous prétexte d’acheter des cigarettes. Il faut croire qu’on ne m’entendit pas, puisque le magasin était vide et que personne ne vint me servir. Je regardais tout autour quand, par l’entre-bâillement de la porte, j’aperçus une tête blonde qui s’appuyait sur un gilet masculin. Ma curiosité, plus forte que mon dépit, me cloua sur place. Je voulus en voir plus et essayai de re-