Aller au contenu

Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
43
les demi-civilisés

entre autres choses, après les banalités de la présentation :

— Je vous ai croisé souvent dans la rue, Monsieur Hubert. Vous m’intéressiez, parce que vous m’aviez l’air différent des autres. Vous aviez dans les yeux un je ne sais quoi de toujours pensif. J’étais curieuse de vous entendre parler.

— Et maintenant que vous m’avez entendu ?

— Eh ! bien, votre voix aussi est pensive.

— Je n’ai pourtant presque rien dit. Quand on rencontre une femme comme vous pour la première fois, on devient stupide.

— Je déteste les hommes qui parlent trop. Ils ne sont jamais intelligents. C’est peut-être pour cette raison que je n’aime pas la compagnie des femmes.

Ce langage d’une jeune fille de dix-neuf ans me plaisait. J’y voyais le signe d’un tempérament bien féminin : les vraies femmes ne se délectent guère à la conversation d’autres femmes.

Dorothée était si mince, si svelte, et mise avec tant de goût, qu’elle paraissait grande malgré sa petite taille. On ne pouvait soutenir avec indifférence son regard, étrange et clair. Des paupières, légèrement bridées à l’orientale, sur des prunelles à fleur de tête, lui donnaient un charme subtil. Et quelle bouche ! Une bouche en fleur, dont la lèvre inférieure, à la fois molle et dédaigneuse, portait une promesse de raffinement dans la joie des sens.