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Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/64

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les demi-civilisés

un constable voisin d’arrêter le jeune insulteur de « la race ».

On m’enferma dans un cachot en attendant de me traduire devant le tribunal.

Par une sorte de miracle, je parvins à briser un barreau de ma fenêtre et à fuir à la faveur de la nuit.

À l’aube, j’entrai dans un quartier lépreux où rien ne réjouissait l’âme. Aucun arbre, aucun monument, aucune chanson.

Devant moi s’étendait un champ vague et nu, dans lequel je crus reconnaître une place publique. Ce champ était couvert de femmes en haillons qui semblaient occupées à gratter la terre avec autant de soin qu’on en met à chasser les poux dans la tête d’un enfant.

— Que faites-vous là ? demandai-je à l’une d’elles.

— Ah ! vous ne savez pas ? Non ? Vraiment ? Nous arrachons une à une toutes les racines qui s’obstinaient à vouloir pousser dans ce parc. Une loi ancienne et respectable prohibe, dans nos murs, la croissance du moindre végétal, car, vous savez, un brin d’herbe, c’est la vie.

— Le monde est-il devenu fou ? pensai-je.

Je passai outre.

Des affiches sans nombre encombraient les rues à la façon de nos poteaux de télégraphe.

M’arrêtant à tous les cinquante pieds, je lisais :

« Défense d’être poète ! Le rêve conduit aux pires perversions. »