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Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/67

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les demi-civilisés

Sur notre passage, les arbres repoussaient, les brins d’herbe renaissaient, les fleurs s’ouvraient, les monuments de la sottise croulaient et les écriteaux infâmes tombaient avec fracas. Par enchantement, on voyait fuir les pestilences et surgir de la terre régénérée la pensée, l’art, la beauté et la joie.

Puis, la Liberté se tourna vers moi et me demanda si j’étais content de son œuvre.

Pas encore ! dis-je. Près du lieu de ton supplice, j’ai vu un vieillard rongé de fièvre et enlisé volontairement dans ses excréments. Il te maudissait. Viens avec moi ! Nous le forcerons à reprendre sa dignité d’homme.

— Jamais ! répondit-elle.

— Cet homme t’a méconnue et insultée.

— Peu m’importe. Toute coercition, même contre mes ennemis, serait contre ma nature. Si c’est la volonté du vieux d’épouser la pourriture, qui enfantera de lui la mort, il peut rester libre comme toi, car je suis sa Liberté aussi bien que la tienne.

Alors, je tombai la face contre terre :

— Enfin, j’ai trouvé la tolérance et la bonté !

Je relevai le front. La belle dame n’était plus là. Je poussai un grand cri pour la rappeler, et je sursautai.

Je m’éveillais au pied de l’arbre sous lequel je m’étais endormi une heure plus tôt.

Un chien errant, passant entre mes jambes, avait fait tomber de mes genoux sur le gazon le manuscrit réfuté par le journal, et les feuilles maculées voletaient