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Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/77

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les demi-civilisés

sent que pour m’attendre, que je suis sa vie, son rêve, sa flamme. Je ne puis le tolérer. Il me répugne.

— Je comprends. Évidemment… évidemment, c’est une chose… inconcevable. Je te demande simplement d’être distante sans cesser d’être gentille.

— Oui, papa, pour vous plaire, je serai gentille, mais plus que distante.

S’en allant vers son ami, Meunier se remémorait ses nombreux voyages en mer avec Abel Warren et Thomas Bouvier. Abel était hardi, entreprenant et ambitieux ; Thomas n’était alors qu’un marmiton et faisait, à bord, des travaux de femme de ménage.

Warren et Meunier, associés à parts égales dans le commerce de contrebande, avaient fait plus d’un bon coup à la barbe des agents ou sous la mitrailleuse des navires de la gendarmerie. Sur leur yacht blanc, au moteur ronflant, ils longeaient les côtes de la Gaspésie, hérissées de sapins et grouillantes d’oiseaux. Certains soirs, à Percé, par exemple, la nature se métamorphosait en vision d’irréel, aux heures crépusculaires. Des voiles de pêcheurs glissaient sur l’horizon mauve. Des teintes violettes bougeaient, comme un corsage immense, sur la poitrine de la mer gonflée par la respiration intermittente des flots vivants. De l’autre côté de la baie, sur la falaise de l’île aux oiseaux, des millions d’ailes palpitaient. Le rocher de Percé, avec sa porte en forme d’arcade, cathédrale de la tempête et du rêve, bâtie