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Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/91

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les demi-civilisés

passa consécutivement quinze nuits blanches. Dans son sommeil, il se mettait tout à coup à hurler : « À l’assassin ! À l’assassin ! » À la fin de la quinzième nuit, il était complètement gaga.

Ce matin-là, je le vis arriver au bureau, sombre, hagard. Ses verres épais, son nez bourgeonnant et sa chevelure hirsute lui donnaient un aspect vraiment extravagant.

— Qui vous amène ici de si bonne heure ? lui dis-je.

— Je viens de la part du bienheureux Bérard Rosemond, répondit-il. Il vous prie de lui rendre le royaume du Canada, que vous venez d’enlever à notre société littéraire.

Je crus qu’il plaisantait.

— J’étais sous l’impression, lui dis-je, que votre royaume n’était pas de ce monde ?

— Malheur à vous qui riez maintenant, car demain vous pleurerez.

Je le regardai plus attentivement. La flamme trouble de ses yeux m’avertit qu’il était devenu dément.

— Sortez d’ici ! m’ordonna-t-il.

Ce disant, il tira de sa poche un revolver qu’il voulut braquer vers moi. D’un bond, je fus sur lui et le désarmai.

Le soir, il entrait à l’asile en murmurant sans cesse : « Malheur à vous ! Malheur à vous ! Bérard Rosemond est avec moi ! » Ainsi sombra l’auteur de tant de chefs-