Aller au contenu

Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/98

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
94
les demi-civilisés

bon coup de jarrets, un saut, une seconde, et je suis hors du trou, sauvé ! J’ai sauté au cou de Nelly, je l’ai embrassée comme un fou. Elle me léchait la face et elle en bavait tant elle était contente. Je vous le dis, des chiens comme ça, c’est mieux que du monde !

Pendant ce récit que la mimique du narrateur rendait très pittoresque, je regardais Maryse et me plaisait à détailler la tournure de ses traits. Elle était belle, pas autant que Dorothée, mais différente. Celle-ci s’aperçut-elle de cette complaisance ? Je le crus un temps, bien que les événements m’aient fait voir mon erreur. Maryse avait de l’esprit, de la lecture et le don de plaire. Elle causait joliment. Les poètes français, surtout les modernes, lui étaient familiers. Les romanciers les plus à la mode n’avaient pas de secrets pour elle. À ce commerce de choix, elle avait acquis une élégance d’expression qui plaisait, une psychologie qui la maintenait en équilibre sur cette frontière de l’amour qu’on appelle le flirt. Ses lectures et son bon goût lui tenaient lieu d’originalité. Elle avait vingt-huit ans, un visage de blonde à l’oval finement allongé, un corps d’éphèbe, presque sans courbes. Ses grands yeux, d’un bleu candide, la rendaient attachante. Derrière ces yeux-là, quelque chose de dur et d’inquiétant.

La danse s’avivait à mesure qu’avançait la nuit. L’orchestre jouait une musique endiablée, musique de nègres. La vengeance du noir sur le blanc d’Amérique