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Page:Hawthorne - Contes étranges.djvu/127

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L’EXPÉRIENCE DU DOCTEUR HEIDEGGER

titre même de cet ouvrage n’était composé en aucune langue écrite ou parlée des hommes, et il est incontestable qu’il ne pouvait être que l’œuvre du démon ou de quelque magicien versé dans les sciences occultes. Au temps où le docteur avait une domestique (car depuis longtemps il ne pouvait plus en trouver à cause de sa réputation), cette femme s’enfuit de sa maison avec épouvante, racontant à qui voulait l’entendre, qu’ayant soulevé ce grimoire pour en secouer la poussière, le squelette était sorti de sa boîte, la jeune dame du tableau avait sauté de son cadre sur le plancher, des apparitions avaient troublé la limpidité du miroir, l’impassible masque du vieil Hippocrate avait froncé ses sourcils de bronze, et que son œil sans regard avait lancé un éclair.

Tel était l’aspect général du cabinet du docteur Heidegger par une belle après-midi d’été, au moment même où se passe ce récit, exempt de toute exagération malveillante. Une petite table ronde, noire comme l’ébène, se dressait au milieu de la chambre, supportant un vase de cristal taillé, d’une forme élégante, rempli d’une liqueur transparente. La lumière entrait à flots par deux hautes fenêtres, et les rayons du soleil pénétrant entre les rideaux de damas fané aux larges plis, et tombant d’aplomb sur les facettes étincelantes du vase, traversaient la liqueur et coloraient le visage des spectateurs qui, groupés autour de la table, semblaient entourés comme d’une lumineuse auréole. Quatre verres à champagne étaient placés devant eux, et sans expliquer encore le but de ces préparatifs, le docteur, debout devant eux, les contemplait avec cet air de calme supériorité du maître qui va parler à ses élèves, ou du