Aller au contenu

Page:Hawthorne - Contes étranges.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
133
L’EXPÉRIENCE DU DOCTEUR HEIDEGGER

— Non, non, certes, c’est moi qui serai son danseur ! exclama M. Gascoigne.

— Il y a plus de quarante-cinq ans qu’elle m’a promis sa main, hurla M. Medbourne, intervenant à son tour.

Tous alors l’entourèrent et la poussèrent pour obtenir d’être favorisés les premiers. L’un lui prit passionnément les mains, le second passa son bras autour de sa taille flexible, pendant que le troisième jouait avec les boucles de ses cheveux. Tour à tour rougissant, palpitant, grondant, riant, effleurant leurs visages enflammés de son haleine, elle s’efforçait de se dégager de cette triple étreinte dont les nœuds semblaient se resserrer à chaque mouvement. Jamais on ne vit un tableau groupé avec autant d’art et plus séduisant que cette scène de jalousie de jeunes gens, lutte charmante dont la beauté devait être le prix, tandis que, par une singulière ironie, le miroir réfléchissait une dispute de trois vieillards s’arrachant une vieille femme, et dont la pétulance rendait les mouvements encore plus ridicules.

Ils étaient jeunes pourtant, et la passion parlait là son clair langage. La jeune fille attisait le feu par un manège de délicieuse coquetterie. Elle semblait glisser entre leurs doigts comme une couleuvre et s’abandonnait à tous sans se livrer à aucun. Aux regards farouches succédèrent les insultes, le mot blanc-bec fut lancé par le bouillant colonel Killigrew à ses deux compétiteurs ; on se sauta à la gorge, et les combattants n’auraient pas manqué de se faire une arme de tout ce qui leur aurait tombé sous la main, si la bataille n’avait cessé tout d’un coup comme par enchantement.