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Page:Hawthorne - Contes étranges.djvu/244

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CONTES ÉTRANGES

m’avait pas encore accoutumé la plus douce des épouses. En même temps elle emprisonna ma main dans une des siennes pour l’éloigner du fruit défendu, et de l’autre lissa soigneusement son bandeau.

Comme je suis très-remuant et qu’il faut toujours que j’aie quelque chose dans les mains, une fois privé des boucles de ma bien-aimée, je cherchai des yeux ce qui pourrait bien me servir de jouet. Sur la banquette était un de ces élégants paniers dans lesquels les voyageuses, trop délicates pour s’asseoir à la table commune, ont l’habitude de placer de petites provisions telles que pain d’épices, biscuits, jambon froid et autres victuailles propres à soutenir l’estomac durant la route. Soulevant donc le couvercle du panier, je glissai la main sous le journal qui en recouvrait soigneusement le contenu.

— Qu’est-ce que cela, ma chère ? m’écriai—je en voyant apparaître le goulot d’une bouteille.

— Une bouteille de Kalydor, répondit ma femme, en me prenant la corbeille des mains pour la replacer sur la banquette.

Il n’y avait aucun doute à émettre sur le mot que venait de prononcer ma femme, et pourtant ce kalydor sentait diablement le xérès. J’allais lui exprimer ma crainte que cette lotion ne lui gâtât le teint, lorsqu’un accident imprévu vint nous menacer inopinément de quelque chose de plus grave qu’une écorchure. Notre automédon, sans y prendre garde, était monté sur un tas de cailloux et avait culbuté si complétement la voiture que nos pieds étaient à la place qu’auraient dû occuper nos têtes. Que devint ma raison dans cette triste occurrence ? Je ne saurais trop le dire, vu qu’elle