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Page:Hawthorne - Contes étranges.djvu/43

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LA FILLE AUX POISONS

caprice de son imagination surexcitée, ainsi qu’à l’ajustement de Béatrix, dont la couleur et la coupe semblaient en quelque sorte empruntées à sa fleur favorite.

Lorsqu’elle s’approcha du buisson empourpré, il la vit ouvrir les bras avec une ardeur passionnée pour attirer à elle plusieurs rameaux, dont elle parut aspirer le parfum avec une joie naïve qui se refléta sur son visage.

— Enivre-moi de ton haleine, ma sœur, murmurait Béatrix, et laisse-moi cueillir quelques-unes de tes fleurs pour les placer sur mon cœur.

Et elle prit une branche qui sortait du massif. Au même instant se produisit un phénomène étrange qui fit croire un moment à Giovanni que les fumées du vin obscurcissaient encore son cerveau. Un petit reptile, couleur orange, lézard ou caméléon, traversait le sentier juste aux pieds de Béatrix ; et il sembla à Giovanni, malgré la distance à laquelle il était de cette scène, qu’une goutte de rosée tombait de la fleur sur la tête du petit animal, celui-ci s’arrêta, tomba dans de violentes convulsions et se tordit sur le sable, où il resta bientôt sans mouvement.

Béatrix avait observé ce phénomène avec une sorte de tristesse, mais sans faire paraître aucune surprise, et sans renoncer pour cela au projet de mettre la fatale branche à son corsage. À peine attachée, la fleur, un moment alanguie, parut reprendre une vie nouvelle et se redressa plus fraîche et plus éclatante, jetant des feux semblables à ceux du rubis.

Giovanni s’était retiré de la fenêtre le front baigné de sueur, se disant à lui-même :

— Ma tête se perdrait-elle ? Suis-je le jouet d’une illusion ? Quelle est cette splendide créature si belle et si terrible ?