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Page:Hawthorne - Contes étranges.djvu/46

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CONTES ÉTRANGES

profondeur du sentiment qu’il éprouvait ; mais il avait une imagination ardente et toute la vivacité d’un tempérament méridional qui dégénérait parfois en une véritable fièvre. Que Béatrix possédât ou non une affinité quelconque avec ces fleurs si belles et si terribles, elle ne lui en avait pas moins inoculé de tous les poisons le plus subtil et le plus perfide. Ce n’était pas précisément de l’amour qu’il éprouvait pour elle, bien que sa merveilleuse beauté la rendît bien capable d’en inspirer ; ce n’était pas non plus de l’horreur, bien qu’il soupçonnât qu’un fluide vénéneux parcourait ce beau corps ; non, c’était un produit de ces deux sentiments qui se mêlaient dans son esprit d’une façon si intime qu’il lui eût été impossible de dire lequel des deux l’emportait sur l’autre. Il ne savait ce qu’il devait craindre ni ce qu’il devait espérer, et la crainte et l’espérance se livraient dans son cœur de cruels assauts, sans que l’une emportât sur l’autre aucun avantage. Un sentiment de joie ou de douleur peut quelquefois être salutaire, mais le terrible mélange de deux émotions si différentes doit se rapprocher de l’affreuse joie des damnés.

Giovanni essayait souvent d’éteindre la fièvre qui le minait sourdement, par des promenades dans les rues de Padoue ou des excursions dans la campagne, mais son pas se précipitant à mesure que ses tempes battaient avec plus de violence, dégénérait bientôt en une course désordonnée, comme s’il eût essayé d’échapper par la rapidité de sa marche aux pensées qui l’obsédaient.

Un jour qu’il fuyait ainsi par la ville, il se sentit arrêté par un personnage de haute stature qui s’était placé devant lui.