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Page:Hawthorne - Contes étranges.djvu/51

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LA FILLE AUX POISONS

le jetait dans un trouble inexprimable. Cette mystérieuse beauté, d’un éclat tout oriental, cette rose de Sâron, ce lys des vallées, lui semblait tenir sa vie entre ses mains. Mais en ce moment il éprouvait un calme tout à fait insolite et inattendu, il embrassa le jardin d’un regard circulaire, cherchant à découvrir Béatrix ou son père, et, n’ayant aperçu ni l’un ni l’autre, se mit tranquillement à étudier les plantes qui l’entouraient et dont la plupart lui étaient inconnues.

Soit qu’il les considérât une à une ou dans leur ensemble, leur aspect le contraria ; leur splendeur lui semblait fiévreuse, passionnée et contre nature. Il n’y en avait peut-être pas une seule dont le voyageur n’eût été effrayé en la rencontrant dans une forêt, car il eût pu croire qu’une figure étrange lui jetait du milieu du buisson un regard diabolique. La plupart semblaient le produit artificiel des espèces les plus différentes, et attestaient suffisamment, par leurs formes bizarres, qu’elles n’étaient point sorties des mains de la nature, mais qu’elles étaient plutôt dues aux caprices monstrueux de l’imagination humaine. Elles étaient sans doute le résultat d’expériences qui avaient réussi à former, par l’union adultère de deux plantes, un monstre végétal possédant le caractère sinistre et mystérieux de tout ce qui croissait dans ce jardin. C’est à peine si, au milieu de cette vaste collection, Giovanni put découvrir deux ou trois espèces qu’il connût déjà, encore appartenaient-elles aux familles les plus malfaisantes. Tandis qu’il s’oubliait dans cette contemplation, le frôlement d’une étoffe de soie lui fit tourner la tête, et il aperçut Béatrix qui sortait du portail sculpté.

Giovanni n’avait pas encore réfléchi à ce qu’il convenait