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Page:Hawthorne - Contes étranges.djvu/56

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CONTES ÉTRANGES

particularités effrayantes qu’il avait, dans le principe, considérées comme les preuves de la singularité de sa nature, se transformaient, par un subtil sophisme de l’amour, en autant de rares qualités, qui rendaient Béatrix encore plus adorable, et en faisaient une créature unique, tenant à la fois de l’ange et de la femme. Tout ce qui lui avait paru hideux en elle, lui semblait charmant ; et quant aux souvenirs désagréables que lui avaient laissés certaines circonstances, par une simple abstraction de son esprit, il les avait chassés pour s’abandonner tout entier à ceux qui lui rappelaient cette heure charmante passée dans le mystérieux jardin. Ainsi s’écoula la nuit pour Giovanni, qui ne s’endormit qu’à l’aube, vers l’heure où le soleil réveillait de leur engourdissement nocturne les fleurs de Rappaccini. L’astre du jour, en dardant ses rayons sur les paupières du jeune homme, mit fin à son assoupissement. Il sentit en se réveillant une cuisson assez vive à la main droite. C’était celle que Béatrix avait prise dans les siennes lorsqu’il avait voulu cueillir une branche au bel arbrisseau. Sur le dos de sa main, il aperçut distinctement une tache rouge qui répondait exactement à l’empreinte de quatre doigts effilés, et sur son poignet le stigmate parfaitement reconnaissable d’un pouce féminin.

Telle est la force de l’amour, même de ce semblant d’amour qui règne dans notre imagination sans jeter dans le cœur de profondes racines ! La foi dans l’objet aimé est absolue jusqu’au moment où lui-même s’évanouit comme une vapeur légère. Giovanni se demanda quel insecte l’avait piqué, enveloppa machinalement sa main dans un mouchoir et eut bientôt oublié sa douleur en pensant à Béatrix.