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Page:Hawthorne - Contes étranges.djvu/80

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CONTES ÉTRANGES

sures, rassasié de la vie militaire, fatigué des roulements du tambour et des sons aigus du clairon qui pendant si longtemps avaient retenti à ses oreilles, résolut un beau jour de retourner dans sa vallée natale, espérant y retrouver le calme et le repos qu’il y avait laissés. Les habitants, ses anciens voisins, ses parents, ses amis, résolurent de célébrer le retour du vieux héros par des salves d’artillerie et un banquet public. Tous affirmaient se rappeler qu’il était le vivant portrait de la Grande Figure. Un des aides de camp de Sang-et-Tonnerre avait même été frappé de cette ressemblance, et ses amis d’enfance étaient prêts à affirmer par serment qu’elle avait toujours existé, seulement qu’ils ne l’avaient jamais remarquée jusque-là. Aussi, grande fut l’exaltation des bons habitants de la vallée qui perdaient les trois quarts de leur journée à considérer la Grande Figure de pierre, rien que pour se faire une idée de l’air que devait avoir le brave Sang-et-Tonnerre.

Le jour du grand festival, Ernest, ainsi que les autres habitants, laissa son ouvrage et se dirigea vers l’endroit où le banquet champêtre était préparé. Il entendit, en s’approchant, la voix retentissante du révérend docteur Battle appelant les bénédictions du ciel sur les excellentes choses placées devant lui, et sur l’homme illustre en l’honneur de qui elles avaient été préparées. La table avait été mise dans une clairière entourée d’arbres de tous côtés, sauf à l’est, où, par une éclaircie, l’on apercevait au loin la Grande Figure. Le fauteuil du général, relique de la maison de Washington, était ombragé par un dôme de verdure entremêlée de branches de lauriers, au-dessus duquel flottait le drapeau national par lui tant de fois conduit