Page:Henry - Les Littératures de l’Inde.djvu/106

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vous répondrait pas. Non qu’il l’ignore : le Buddha sait tout ; mais cela est indifférent. Lorsqu’un homme est blessé d’un trait empoisonné, s’inquiète-t-on, avant d’appliquer l’antidote, de savoir si les pennes de la flèche étaient de faucon ou de ramier[1] ? Ainsi le bouddhisme, qui devait finir par sombrer dans une métaphysique plus obscure que toutes celles de ses devanciers parce qu’elle est contradictoire à ses principes, débute par repousser dédaigneusement du pied toute métaphysique comme un fatras inutile : la grande affaire, c’est la suppression de la douleur ; ce qui n’y mène pas ne sert de rien. On dirait un manuel pratique d’anesthésie morale.

Mais alors qu’est-ce donc que ce nirvana[2] qui vient naturellement à la pensée de tout homme instruit dès qu’on parle de bouddhisme, ce mot si célèbre et si incompris ? Est-ce le néant ? est-ce la béatitude éternelle ? Nul ne le sait : on ne l’atteint qu’en mourant au monde extérieur, voilà ce qui est sûr, et dans des conditions telles que l’on n’y puisse renaître ; et pourtant ce n’est pas non plus l’absorption dans le Grand Tout, puisque l’idée même du Grand Tout se trouve exclue par la proscription de la métaphysique. L’étymologie du mot ne l’éclaircit pas : il peut signifier « extinction » ; il peut signifier aussi « état de ce qui n’est agité d’aucun souffle, calme absolu ». Nulle part le Buddha ne définit

  1. Sutta-Piṭaka, Majjhima-Nikâya, sutta 63.
  2. C’est le mot sanscrit : en pâli, nibbâna ou parinibbâna.