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Page:Hess - L’Âme nègre, 1898.djvu/48

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MAJOGBÉ.

plusieurs jours à la ferme, ne s’était point fait raser le front. Il avait donc une chance enviable : un des premiers, il aurait quelques poils à la place favorite. Avec un soupçon d’antimoine, l’effet serait admirable ; il ne mentirait pas à sa réputation de jeune homme tout à fait « sur la rivière ». Beaucoup de modes venaient de la côte. Les piroguiers qui font les voyages par le fleuve et la lagune jusqu’à Eko, la ville où sont les marchands blancs, apportaient les nouveautés. C’est pourquoi l’on disait de celui qui très vite possédait ces nouveautés : « Il est sur la rivière ».

Dès qu’il vit et palpa les marques du front et des joues de Majogbé, le barbier lui dit :

— Tu es d’une maison où je recevais autrefois l’hospitalité et dont le maitre était très bon pour le voyageur. Hier soir, en arrivant, j’ai cherché cette maison, mais je ne l’ai plus trouvée. À la place où elle s’élevait jadis, accueillante et riche, il n’y a plus aujourd’hui que des ruines, où les serpents, les scorpions et les lézards se battent avec les rats. Dans les cases voisines, j’ai demandé où était le maître. Les uns m’ont répondu qu’ils ne savaient pas ; d’autres m’ont raconté des choses tristes. Toi qui es de cette maison, du sang de Kosioko — je reconnais la marque, je la faisais moi-même à ses enfants, — tu pourras peut-être me dire où est aujourd’hui le maître qui fut mon hôte ?

Majogbé répondit sans émotion :