Quoique je l’aime fort, lorsqu’elle me caresse,
Tout muet que je suis on m’entend murmurer.
Sans qu’on m’ait offensé je chante des injures,
Sans changer de couleur j’ose tout assurer ;
Je provoque au combat et cause des blessures,
Et tout mort que je suis je fais rire et pleurer.
Je cache les secrets, quoique je les découvre ;
Je souffre également et le bien et le mal :
J’ai partout de l’emploi, dans les champs, dans le
Louvre ;
Je sers à la maîtresse, à l’amant, au rival.
J’apprends les bonnes mœurs, et j’enseigne le vice ;
Tout le monde est ravi de mon doux entretien ;
Je sauve du trépas, j’annonce le supplice ;
J’enrichis tout d’un coup, et je n’eus jamais rien.
Je suis le confident et l’héritier des sages,
Je conserve moi seul tous leurs trésors divers :
On lit dessus mon front tous les temps, tous les âges ;
Et l’on y voit dépeint tout ce grand univers.
Un pied, de ma longueur
Est la juste mesure ;
Il l’est aussi de ma largeur ;
Cependant du carré je n’ai point la figure.