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Page:Hubert, Mauss - Mélanges d’histoire des religions, 1909.djvu/137

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modification profonde que l’on produit à ce moment dans la personne du sacrifiant.

Cette vertu vivifiante du sacrifice ne se limite pas à la vie d’ici-bas, elle s’est étendue à la vie future. Au cours de l’évolution religieuse, la notion du sacrifice a rejoint les notions qui concernent l’immortalité de l’âme. Nous n’avons rien à ajouter sur ce point aux théories de Rohde, de MM. Jevons et Nutt sur les mystères grecs[1], dont il faut rapprocher les faits cités par M. S. Lévi, empruntés aux doctrines des Brâhmaṇas[2] et ceux que Bergaigne et Darmesteter avaient déjà dégagés des textes védiques[3] et avestiques[4]. Mentionnons aussi la relation qui unit la communion chrétienne au salut éternel[5]. Si considérables que soient ces faits, il ne faut pas, d’ailleurs, en exagérer la portée. Tant que la croyance à l’immortalité n’est pas dégagée de la théologie fruste du sacrifice, elle reste vague. C’est la « non-mort » (amṛta) de l’âme que le sacrifice assure. Il garantit contre l’anéantissement dans l’autre vie comme dans celle-ci. Mais la notion de l’immortalité personnelle

  1. Année Sociologique, II, p. 217.
  2. Doctr., p. 93-95. Nous admettons absolument le rapprochement, proposé par M. Lévi, entre la théorie brahmanique de l’échappement à la mort par le sacrifice et la théorie bouddhiste de la mokṣâ, de la délivrance. Cf. Oldenberg, Le Boudha, p. 40.
  3. Voir Bergaigne, Rel. Véd., sur l’amṛta, « essence immortelle », que confère le soma (I, p. 254 suiv., etc.). Mais là, comme dans le livre de M. Hillebrandt, Ved. Myth., I, p. 289, sqq. et passim, les interprétations de mythologie pure ont un peu envahi l’explication du texte. Voir Kuhn, Herabkunft des Feuers und des Göttertranks. Cf. Roscher, Nektar und Ambrosia.
  4. Voir Darmesteter, Haurvetât et Amretât, p. 16, 41.
  5. Tant dans le dogme (ex. Irénée, Ad. Haer., IV, 4, 8, 5), que dans les rites les plus connus ; ainsi la consécration de l’hostie se fait par une formule où est mentionné l’effet du sacrifice sur le salut. Voir Magani, l’Antica Liturgia Romana, II, p. 268, etc. — On pourrait encore rapprocher de ces faits l’haggada talmudique suivant laquelle les tribus disparues au désert et qui n’ont pas sacrifié n’auront pas part à la vie éternelle (Gem. à Sanhedrin, X, 4, 5 et 6, in Talm. J.), pas plus que les gens d’une ville devenue interdite pour s’être livrée à l’idolâtrie, ou que Cora l’impie. Ce passage talmudique s’appuie sur le verset, Ps. L, 5 : « Assemblez-moi mes justes qui ont conclu avec moi alliance par le sacrifice. »