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Page:Hubert, Mauss - Mélanges d’histoire des religions, 1909.djvu/157

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monie n’avait pas simplement pour effet d’incarner le génie agraire. Il naissait au sacrifice même[1]. — Or, étant donné qu’il n’y a pas lieu de distinguer les démons des victimes agraires, ces faits sont précisément des exemples de ce que nous avons dit à propos de la consécration et de ses effets directs. L’apothéose sacrificielle n’est pas autre chose que la renaissance de la victime. Sa divinisation est un cas spécial et une forme supérieure de sanctification et de séparation. Mais cette forme n’apparaît guère que dans les sacrifices où, par la localisation, la concentration, l’accumulation d’un caractère sacré, la victime se trouve investie d’un maximum de sainteté que le sacrifice organise et personnifie.

Voilà la condition nécessaire pour que le sacrifice du dieu soit possible. Mais pour qu’il devienne une réalité, ce n’est pas assez que le dieu soit sorti de la victime : il faut qu’il ait encore toute sa nature divine au moment où il rentre dans le sacrifice pour devenir victime lui-même. C’est dire que la personnification d’où il est résulté doit devenir durable et nécessaire. Cette association indissoluble entre des êtres ou une espèce d’êtres et une vertu surnaturelle est le fruit de la périodicité des sacrifices dont il s’agit précisément ici. La répétition de ces cérémonies, dans lesquelles, par suite d’une habitude ou pour toute autre raison, une même victime reparaissait à intervalles réguliers, a créé une sorte de personnalité continue. Le sacrifice conservant ses effets secondaires, la création de la

  1. En Lusace l’esprit qui vivait dans les blés était appelé le mort. Frazer, Gold. B., I, 265 sqq. Cf. Mannhardt, W. F. K., I, p. 420. Ailleurs on figurait la naissance du génie en donnant à la dernière gerbe, aux premiers grains, la forme d’un enfant ou d’un petit animal (le corn-baby des auteurs anglais) : le dieu naissait du sacrifice agraire. Voir Mannhardt, Mythol. Forsch., p. 62 sqq. — Frazer, Gold. B., I, p. 344 ; II, p. 23 sqq. (Naissance des dieux : de Zeus sur l’Ida). Gruppe, Griech. Myth., p. 248. — Lydus, De Mens., IV, 48. — Voir Pausan., VIII, 26, 4, pour la naissance d’Athéna à Aliphera et le culte de Zeus Λεχεάτης (en couche). — Soma est de même fort souvent appelé un jeune dieu, le plus jeune des dieux (comme Agni), Bergaigne, Rel. Véd., I, p. 244.