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Page:Hubert, Mauss - Mélanges d’histoire des religions, 1909.djvu/166

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divines. Mais c’est précisément l’introduction de cet épisode dans la légende d’un dieu qui a déterminé la formation rituelle du sacrifice du dieu. Prêtre ou victime, prêtre et victime, c’est un dieu déjà formé qui agit et pâtit à la fois dans le sacrifice. Or la divinité de la victime n’est pas limitée au sacrifice mythologique ; mais elle apparaît également dans le sacrifice réel qui lui correspond. Le mythe, une fois constitué, réagit sur le rite d’où il est sorti et s’y réalise. Ainsi le sacrifice du dieu n’est pas simplement le sujet d’un beau conte mythologique. Quelle que soit devenue la personnalité du dieu dans le syncrétisme des paganismes, adultes ou vieillis, c’est toujours le dieu qui subit le sacrifice ; ce n’est pas un simple figurant[1]. Il y a, du moins à l’origine, « présence réelle » comme dans la messe catholique. Saint Cyrille[2] rapporte que, dans certains combats de gladiateurs, rituels et périodiques, un certain Kronos (τις Κρόνος), caché sous terre, recevait le sang purificateur qui coulait des blessures. Ce Κρόνος τις est le Saturne des Saturnales qui, dans d’autres rituels, était mis à mort[3]. Le nom donné au représentant du dieu tendait à l’identifier au dieu. C’est pour cette raison que le grand prêtre d’Attis, qui lui aussi jouait le rôle de victime, portait le nom de son dieu et prédécesseur mythique[4]. La religion mexicaine offre des exemples bien connus de l’identité de la victime et du dieu. Notamment à la fête d’Huitzilopochtli[5], la statue même du dieu, faite de pâte de bette, pétrie avec du sang humain, était mise en morceaux, partagée entre les fidèles et mangée. Sans doute, comme nous l’avons remarqué, dans tout sacrifice, la victime a quelque chose du dieu.

  1. Mannhardt, W. F. K., I, p. 316.
  2. Adv. Julianum, IV, p. 128 D.
  3. Parmentier, Rev. de Phil., 1897, p. 143 sqq.
  4. Exemple : Ath. Mitth., XXII, 38 (Pessinonte).
  5. Torquemada, Monarquia Indiana, VI, 88, (Kinsborough, VI, note p. 414). — Cortez, 3e lettre à Charles-Quint (Kinsborough, VIII, note, p. 228).